Le mythe de Procuste a été commenté et utilisé, de Socrate à Edgar Poe, de Ernst Junger à Aldous Huxley montrant ainsi son actualité dans différentes époques.
De quoi s'agit-il ? Nous sommes invités par ce mythe à méditer les conséquences d'un fantasme individuel ou collectif qui consiste à vouloir classer, enfermer, adapter les êtres et les faits. Les réduire à la rigueur d'un cadre absolu. Ce fantasme issu de biais cognitifs fonctionne en mutilant l’infinie richesse des possibilités en faveur d'un modèle standard, réduit à une seule façon de penser et d’agir, quitte à occulter tout ce qui dépasse pour le faire rentrer dans la case attendue. Le rapport à l'autre ne s'envisage que sous l'angle de la soumission, de l'assujettissement et de l'obligation.
Il s'agit d'un véritable détournement de sens qui se nourrit parfois d'arguments déontologiques ou éthiques pour se justifier et s'imposer. Ce type de propos n'habille au mieux que des opinions ou des idéologies venant servir le mécanisme limitant, oppressant.
Détournement aussi et surtout du sens même de la vie qui se caractérise dans ses manifestations par l'impermanence et le changement et non l'incessante répétition du même.
Le mythe de Procuste, adapté à une organisation, un établissement, un service recevant des usagers (secteur du soin, de l'éducation, du travail social au sens large) nous permet de comprendre la situation d'un lieu réduit à l'immobilité. Hyper centré et veillant au maintien de sa propre économie, le système procustien, administré par une personne ou un groupe, se referme, se contraint tout en contraignant les autres. Il exige de la part des professionnels et des personnes reçues qu'ils s'adaptent, surtout se conforment et répondent aux normes et aux exigences de l'organisation. Loin de chercher à ouvrir aux ressources inédites, à la question sans cesse renouvelée par les besoins des usagers, aux innovations de ses professionnels, ces organisations valorisent la bureaucratie, les protocoles.
Les conséquences de la situation d'une seule forme, d'une seule taille, d'une seule idée pour tous, aboutissent à une impasse à une sclérose, une dévitalisation de ces structures.
Le mythe de Procuste représente le paradoxe de l'hospitalité et illustre l'impossible accueil de l'altérité.